Échos du monde musulman N° 250 – 24 février 2015

Dans ce numéro, j’essaie de trier les affirmations un peu confuses envoyées par les politiques et les médias sur les islamistes, les djihadistes, l’éventuel rôle de « l’exclusion », le retour de « l’émigration religieuse
» et l’impact de tout cela sur l’opinion française. Donc quatre « échos » partiellement liés les uns aux autres.
Puis, pour changer d’horizon, ce qui préoccupe vraiment les dirigeants politiques nigérians, les ratés de certains fournisseurs algériens et de possibles projets d’églises au Maroc.

Le djihadisme est-il lié à la misère ?

Certains propos officiels le disent plus ou moins nettement : chômage, discrimination… The Economist, journal extrêmement sérieux, répète depuis bien longtemps (donc avant le djihadisme) que les problèmes des banlieues françaises sont d’abord économiques et non ethniques ou religieux.

Disons que si le même individu est confronté à des problèmes économiques d’un côté, et a par ailleurs des convictions politico-religieuses le poussant au djihadisme, il ne faut pas pour autant dire que les deux sont liés. D’ailleurs la masse des « exclus » n’est pas djihadiste et ces derniers bénéficient souvent d’une bonne l’intégration économique. Par ailleurs, j’ai utilisé le mot « politique » en pensant notamment à des slogans partant des questions israélo-palestiniennes pour aboutir à l’antisémitisme.

Islamistes et djihadistes

Beaucoup de discours passent d’un mot à l’autre comme si c’était la même chose et notamment la même population. Or l’islamisme a comme objectif la prise du pouvoir politique en s’appuyant sur la religion pour islamiser un pays (en général un pays déjà musulman, mais considéré comme ne donnant pas assez de place à la religion). Les islamistes sont donc organisés en partis politiques (les Frères Musulmans, le Hamas, l’AKP turc …), ce qui implique une certaine organisation et un discours religieux construit. Corrélativement ils comprennent une bonne proportion de cadres et de personnes qualifiées, par exemple professions libérales. Bien sûr les troupes peuvent être plus populaires, mais en principe ne bougent que sur l’ordre du parti.

Les djihadistes (pour simplifier, ceux qui ne conçoivent l’action que violente) sont en général de conviction vaguement islamiste, puisqu’il veulent « porter la religion au pouvoir ». Mais c’est une population différente, ayant des idées religieuses ou politiques beaucoup plus sommaires, étant en général socialement plusieurs crans en dessous des cadres islamistes et agissant individuellement, que ce soit en décidant de partir pour l’Irak ou la Syrie ou en faisant un attentat sur place.

L’émigration religieuse

Les djihadistes, notamment occidentaux, ont ainsi fait réapparaître le thème de l’émigration pour raison religieuse : « Tout musulman sincère émigre vers l’une des régions de l’État Islamique, cette terre d’Islam, et quitte les terres de mécréances… ». Il s’agit bien sûr de recruter, mais cette phrase s’appuie sur un point important de l’islam, souvent ignoré même par les musulmans : « il faut respecter les lois du pays, même si elles sont contraires à la religion. Si cela devient insupportable il faut émigrer ; c’est d’ailleurs ce que le prophète a fait quand il a quitté la Mecque » (raccourci un peu sommaire mais la population concernée ne recherche pas la finesse théologique). Vous avez remarqué que certains musulmans danois se disent « obligés » de faire des attentats dans ce pays parce qu’on les empêche de rejoindre l’EI en leur confisquant leurs passeports (du moins pour ceux qui n’ont pas prétexté aller faire du tourisme en Turquie).

Pour que l’information soit complète je rajoute que d’autres musulmans danois ont manifesté avec les juifs et chrétiens de ce pays, et que je suppose que la confiscation du passeport, que la France a commencé elle aussi à pratiquer, est faite pour éviter les retours de combattants aguerris. Est-ce une bonne solution ? On a vu que l’on peut être tout aussi dangereux en restant sur place, et qu’une partie de ceux qui reviennent sont dégoûtés par ce qu’ils ont vu, sans parler des disparus en cours de route.

L’impact des attentats du 7 janvier sur l’opinion française

L’IFOP a fait une étude très intéressante sur l’impact sur l’opinion des attentats du 7 janvier 2015.

Il en ressort que la présence des musulmans en France n’en a pas pâti  : 40 % estiment qu’il s’agit plutôt d’une menace pour l’identité, contre 43 % avant les attentats, 25 % qu’il s’agit plutôt d’un enrichissement culturel, contre 17 auparavant), et que les attentats n’ont pas non plus changé les « proximités partisanes » : le Front National reste notamment stable à 13 % (ou 20 % si l’on enlève les apolitiques). Par contre la perception de la menace terroriste a fait un bond (93 % la trouvent élevée, contre 80 % avant les attentats), ainsi, dans une moindre mesure, que l’approbation de l’engagement militaire de la France contre l’EI (69 % contre 64 % auparavant).

C’est un résumé rapide, il y a beaucoup plus de données sur le site.

Le Nigeria, son armée, ses élections

Vous pensez que le Nigeria est inquiet de voir son armée reculer sans combattre devant Boko Haram et de voir ce dernier étendre ses massacres au Cameroun, au Tchad et au Niger. Vous vous trompez : la grande affaire, ce sont les présidentielles, et le Nigeria demande à ses voisins ne pas se mêler des affaires intérieures, comme il refuse aux compagnies pétrolières qui se font racketter dans le delta du Niger de se faire protéger par des navires de guerre de leur pays, car elles pénétreraient dans les eaux nationales. Ces dernières ne sont pas plus contrôlées que le nord-est du pays conquis ou périodiquement ravagé par Boko Haram. Les pays francophones ont donc décidé de frapper, avec l’appui de la France, à l’intérieur du Nigeria s’il fallait sans demander sa permission.

La priorité du pouvoir actuel est de savoir s’il pourra garder le contrôle des recettes pétrolières. Il pourrait perdre ces élections et vient de les retarder de six semaines. L’opposition craint d’autres ajournements.

Une réaction a lieu : défections du parti gouvernemental, crédibilité du candidat de l’opposition, ancien dictateur supposé énergique, militairement compétent et intègre. Mais il est musulman, alors que le sortant est chrétien … Toutefois être musulman devrait être un atout pour rallier les populations du Nord. Le gouvernement vient également d’accepter la formation d’une force panafricaine épaulant son armée. Mais quand ?

Alger diversifie ses fournisseurs, mais…

L’Algérie confie depuis longtemps ses marchés à des entreprises de nationalités très variées, par exemple espagnoles, coréennes ou indonésiennes, sans parler des chinoises (pays devenu le premier fournisseur de l’Algérie). Les groupements comprennent en générale une entreprise algérienne. Les mauvaises langues remarquent que cela permet d’échapper à certaines réglementations contraignantes en usage au Nord, qu’elles soient techniques ou financières. En tout cas le résultat n’est souvent pas brillant, comme le montre l’état de certains tronçons de grande autoroute Est-Ouest paralysée par des travaux « de réparation » sans fin et où une reconstruction totale semble si inévitable.

Des églises pour le Maroc ?

Il y a trois catégories de chrétiens au Maroc : les Occidentaux, les Subsahariens et les Marocains. Ces derniers seraient environ 8.000 « avoués » chiffre probablement très sous-évalué, beaucoup cachant leur conversion pour des raisons de pression sociale et, cela se discute, juridiques (contradiction entre le religieux et le constitutionnel). Il s’agirait de protestants évangéliques (l’église catholique s’est engagée à ne pas faire de prosélytisme) ayant quitté l’islam en réaction au djihadisme. Bref, on manque d’églises et la construction de nouvelles est en débat.

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