Échos du monde musulman N° 252 – 16 mars 2015

Nous parlons cette fois de deux aspects de l’islam peu connus du grand public et pourtant simples et bien établis : le fait que la diffusion de cette religion est géographiquement et numériquement largement indépendante des conquêtes arabes et turques, et que l’islam «modéré» est judéo-chrétien, du moins pour… (je vous laisse découvrir) et aujourd’hui tunisien. Par contre, en Syrie…

Conquêtes musulmanes et conversions

Beaucoup de chrétiens sont persuadés que l’islam a été imposé par la force aux populations conquises, et les horreurs de l’Émirat Islamique les confortent dans cette opinion.

Or ce n’est arrivé qu’exceptionnellement, comme pour le christianisme (Charlemagne en Saxe, puis certains Allemands en Europe du nord-est, sans parler du retour un peu brutal dans le giron papal de nos compatriotes du Languedoc). D’ailleurs les conquérants arabes tenaient à leur spécificité culturelle et religieuse (et à la supériorité sociale qu’elle entraînait) et ont longtemps vu d’un mauvais oeil les convertis, ressentis à juste titre comme des concurrents.

En effet, la carte des conquêtes musulmanes ne correspond pas à la diffusion de cette religion. Par exemple, le Sénégal et l’Indonésie (qui, je le rappelle, compte plus musulmans
qu’il n’y a d’Arabes) n’ont pas été conquis, mais ont été convertis par des marchands prosélytes, probablement parce que l’islam était infiniment plus simple que les religions qu’il y a remplacées, respectivement l’animisme et l’hindouisme. Inversement l’Europe centrale et balkanique est restée en grande majorité chrétienne malgré des siècles d’occupation turque.

Et même le Proche-Orient est resté largement chrétien jusqu’à tout récemment : mettre 13 siècles pour convertir une majorité renvoie à des raisons fiscales et sociales et non à des conversions forcées lors de la conquête. Reste le Maghreb, qui est resté partiellement chrétien pendant des siècles, l’histoire de son islamisation totale étant plus complexe que quelques coups de sabre (voir l’oeuvre de Xavier de Planhol et d’innombrables articles et ouvrages).

Une vue israélienne de l’islam « modéré »

Je suis abonné à la lettre « Europe-Israël », dans un souci de rigueur et de diversité de mes sources. Bien sûr, cette lettre sélectionne des informations allant dans le sens des intérêts israéliens, du moins tel que son gouvernement les imagine : sa ligne générale, et la grande majorité des exemples qui la nourrissent, est que l’islam est barbare et est un ennemi d’Israël et de l’Occident.
D’autres exemples, beaucoup plus rares, donnent une bonne image de certains musulmans, tel l’article : « l’islam modéré existe, cela s’appelle le judéo-christianisme ».
L’idée n’est pas neuve, mais elle n’a pas à ma connaissance gagné le grand public : « dans les textes comme dans les faits, il existe bien un islam pacifique. Concernant le Coran, les spécialistes distinguent les versets agressifs formulés à Médine après 622, lorsque Mahomet était devenu un chef de guerre, et les versets antérieurs beaucoup plus pacifiques, composés à La Mecque entre 610 et 622 (à la suite de méditations dans le désert). Ces derniers dessinent l’image d’un Dieu plein de miséricorde (…). Reste que ces versets et ces traditions de l’islam modéré sont, pour l’essentiel, des emprunts aux textes judéo-chrétiens. ».
Le reste de l’article développe cette idée, y compris pour ce qui concerne les rites : interdits alimentaires, circoncision, traditionalisme envers les femmes équivalent à celui de larges couches de la société française il y a un siècle ou deux, voire moins : je me souviens des paysannes poitevines venant au marché en « fichu » (cheveux cachés) dans les années 1950.
Source : l’article complet, un peu ironique, sur le site Europe Isräel.

L’exemple tunisien

L’islam tunisien est justement considéré comme « modéré ». J’ai recueilli les phrases suivantes du président tunisien, Béji Caïd Essebsi :
« Nous, Tunisiens, avons toujours défendu le fait que l’islam soit contre la violence. On confond islam et islamisme. L’islam est une religion de tolérance. L’islamisme, lui, ce n’est pas un mouvement religieux. C’est un mouvement politique, qui instrumentalise la religion pour arriver au pouvoir. En plus, dans l’islam, il n’y a pas de clergé. Donc ce cinéma (sic) des islamistes (se comporter en hiérarchie religieuse imposant certains comportements) se situe en dehors de la religion.
Et puis, indépendamment de cela, la Tunisie a une lecture tunisienne de l’islam. Depuis 1804, elle a eu des contacts avec les wahhabites et a rejeté leur doctrine.
C’est vrai que les islamistes de chez nous (Ennahdah) ont essayé de s’éloigner de la lecture tunisienne de l’islam. Ils ont voulu introduire la charia dans la Constitution, alors que la charia n’existe pas dans la religion islamique (pour les non-spécialistes, je précise que l’usage du mot « charia » et la codification du droit musulman sous ce terme date de plusieurs siècles après Mahomet). Nous les avons combattus. J’avais initialement pensé que Ennahdah était un parti d’obédience religieuse mais n’était pas contre la démocratie. Or, ce n’était pas vrai. Je m’en suis aperçu après. Mais, maintenant, ils se sont éloignés de cette ligne antidémocratique » (pour le contexte, je précise qu’ils viennent d’entrer dans son gouvernement ; il est vrai qu’ils avaient – enfin – convoqué des élections et en ont respecté le résultat).

Le président nouvellement élu est dans la tradition de Bourguiba, qui a bu à la télévision pendant le ramadan « pour que le pays maintienne sa productivité » et s’était appuyé sur le Coran pour interdire la polygamie : « le prophète a dit que l’on peut avoir
quatre épouses à condition de les traiter également. Or c’est impossible, donc c’est une manière indirecte de dire qu’il faut se limiter à une ». Interprétation farouchement défendue
par les femmes tunisiennes, qui ont fait basculer l’élection en sa faveur.
Je rajoute que dans les autres pays musulmans, tous polygames, cette phrase « il faut les traiter également » a donné lieu à de multiples exégèses et à une énorme jurisprudence.
La polygamie n’est d’ailleurs pas une invention musulmane, et existait par exemple dans l’Indonésie hindouiste et bouddhiste. Elle existe toujours dans des pays non musulmans.
Certains musulmans ironisent même sur la polygamie « de fait » existant en Occident. À l’échelle planétaire, et en oubliant les religions, la polygamie est corrélée aux revenus, et, par exemple, est rare au Maghreb.

Après la visite des quatre parlementaires français à Bachar El Assad

Khaled Khodja, président de la Coalition nationale syrienne (CNS), principale formation de « l’opposition démocrate », a rencontré François Hollande à Paris le 5 mars. Il approuve la réaction violente de ce dernier envers ces parlementaires  : « Nous sommes fiers de la position de la France. La visite des parlementaires français en Syrie est regrettable. Elle donne à Bachar Al-Assad un feu vert pour continuer à tuer à l’ombre du terrorisme. C’est une grande erreur que de vouloir choisir entre deux maux et de considérer que le régime est un moindre mal face à l’Etat islamique et à Al-Qaida. Le régime a fait plus de 220 000 morts, 250 000 prisonniers et 13 millions de réfugiés. Le nombre de barils explosifs qu’il a lancés équivaut à cinq bombes nucléaires. Les crimes de l’EI sont des crimes barbares, mais le nombre de personnes qu’il a tuées ne dépasse pas 3 % des morts du régime. Il faut traiter les racines du terrorisme qui sont le régime dictatorial et ses services de renseignement. Daech en est la création ». (source : Le Monde, 7 mars 2015)

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Yves Montenay

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