La francophonie économique

Célébration de la Francophonie 2016

Cette année, la célébration de la Francophonie s’est articulée autour de l’usage de la langue française comme un atout pour réussir sa carrière  professionnelle, avec le slogan : « La Francophonie, des portes ouvertes pour toi ! »

La célébration de la francophonie en Macédoine a donné lieu à différentes activités, reparties en 2 jours, les 19 et 20 mars 2016, réunissant plus de 700 personnes, dont beaucoup de jeunes.

« M. Yves Montenay, président de l’Institut Culture Economie et Géopolitique à Paris, a illustré, lors de la table ronde sur « le français dans la mondialisation » la prédominance du capital humain et de la compréhension mutuelle dans les relations professionnelles, dénonçant le recours systématisé à l’anglais dans les grands groupes internationaux, y compris français. Faisant la démonstration que l’espace francophone économique n’était pas un mythe, notamment en Afrique, il a vivement incité la jeunesse macédonienne à se lancer à la conquête de nouvelles opportunités professionnelles, notamment dans les pays francophones qui sont en pleine croissance. » Institut Français

Album photos de l’événement

Nous reprenons ci-après le texte de son intervention :

La francophonie économique
Intervention d’Yves Montenay à l’Institut Français de Skopje (Macédoine) le 19 mars 2016

Yves-Montenay-Institut-Francais-Skopje
Photo : Milan Strezovski @Milanstr

Je suis militant du français dont la première intervention remonte à la « révolution tranquille » au Québec en 1963, et suis donc très heureux de me retrouver entouré de gens dynamiques et dévoués à cette cause. J’ai été très impressionné par le succès de la manifestation d’aujourd’hui et vais essayer d’y apporter ma pierre.

Pour la compréhension de ce qui suit, je vais faire un bref rappel de mon expérience. Dès l’enfance j’ai été un géographe amateur et avait repéré quelles parties de l’île de la Trinité étaient à typonymie française, anglaise ou espagnole, et pourquoi. Le système d’enseignement français m’a cependant dirigé vers l’Ecole Centrale de Paris avant que je puisse satisfaire mes goûts à Sciences-Po. J’ai eu la chance d’enchaîner des métiers géopolitiques (pétrole et énergie) dans une douzaine de pays, ce qui m’a aidé à avoir plus tard un doctorat de géographie humaine. Parallèlement j’ai enseigné en grandes écoles, et ai même fini par en diriger une. Tout ça pour dire que j’ai toujours été très attentif aux liens entre formation, notamment linguistique, et carrière, le tout dans des contextes géographiques et professionnels précis.

C’est ce qui m’amène à vous parler aujourd’hui de la francophonie économique et des opportunités qu’elle peut offrir. Je précise tout de suite que le mot « francophonie » signifie pour moi l’ensemble des hommes ou des pays parlant français, et non l’OIF, administration honorable mais aux possibilités limitées devant l’ampleur des enjeux.

Je commencerai par décrire les fondements puis la nature de cette francophonie économique, avant d’évoquer les débouchés professionnels.

1) Les fondements de la francophonie économique

Derrière l’économie, il y a des hommes. Combien sont-ils ?

1-1  Des centaines de millions

Les pays francophones regroupent environ 460 millions d’habitants sur 35 pays totalisant 16,3 millions de kilomètres carrés, soit quatre fois l’Europe. C’est l’ensemble démographiquement le plus dynamique du monde avec une croissance de 2,1 % par an, dont 2,8 % en Afrique subsaharienne. Cela nous mènera à 850 millions d’habitants vers 2050.

Vous avez remarqué que je parle « des pays francophones » et non « des francophones ». Pourquoi ? Parce que ce qui compte en francophonie économique, c’est le fait que l’on puisse travailler en français et la population totale d’un pays et non le nombre de gens qui parlent français à la maison. C’est le cas au Maghreb bien que le français n’y soit pas officiel ; c’est le cas en Afrique subsaharienne où le français est langue officielle, seul ou avec une ou plusieurs langues locales. C’est le cas évidemment en France, en Suisse en Belgique et au Québec, à condition de bien noter que j’ai écrit « on puisse travailler en française », pour tenir compte des entreprises qui ont décidé de travailler en anglais. À tort naturellement, comme je m’en explique dans mon livre « La langue française, arme d’équilibre de la mondialisation ».

1-2 Un ensemble en croissance

La presse nous décrit la stagnation (à un niveau élevé) de l’économie de l’Union Européenne, et nous parle moins du dynamisme économique de l’Afrique subsaharienne francophone. La croissance y a été de 5,6 % par an de 2012 à 2015, à comparer à 3,7 % pour l’Afrique anglophone. Donc non seulement cela permet des opportunités, mais également infirme la propagande  très intéressée  que vous pouvez trouver sur Internet, et que l’on peut résumer par : « l’Afrique anglophone est en meilleure situation que l’Afrique francophone, il faut donc laisser tomber français pour l’anglais ».

Certes, historiquement, les Anglais, qui se soucient davantage des affaires que les Français, ont choisi les pays les plus peuplés et les plus riches d’Afrique (ressources en eau, minerais). Mais cela n’empêche pas ces pays avoir d’aussi des problèmes de gouvernance qui se répercutent sur leur économie, ce qui a pu être masqué par le boom des matières premières de ces dernières années. En tout cas la langue de travail n’est pour rien dans tout ça.

Et il n’y a pas que l’Afrique subsaharienne. Stables ou en croissance modeste, mais partant de beaucoup plus haut, les pays francophones du Nord ont un poids économique important et de grandes entreprises mondiales. Quant au Maghreb, le développement du Maroc y est honorable, mais l’Algérie et la Tunisie ont les problèmes que vous savez.

Au total c’est un ensemble économique important. J’hésite à évoquer les « 15 % du PNB mondial » souvent cités, car ce chiffre n’a pas grand sens. Il est notamment sous-évalué du fait de l’exagération chinoise et de l’importance de l’économie informelle en Afrique. Retenons plutôt le dynamisme des entrepreneurs africains qui est une bonne surprise pour les pessimistes, et le changement de mode de développement avec (enfin !) l’arrivée massive des technologies numériques.

1-3 Ce qui a des conséquences sur la situation mondiale du français

Tout cela a été remarqué sur le plan international, du moins hors d’Europe. Si sur ce continent le français a perdu beaucoup de positions traditionnelles en passant de première deuxième langue dans le secondaire et derrière l’anglais à Bruxelles,  le nombre d’apprenants du français bondit dans le reste du monde, notamment en Asie. En partie pour travailler en Afrique, demandez aux Chinois. Dans d’autres pays on a bien noté que cela donnait des points supplémentaires pour immigrer au Québec.

Certains pays ont même rendu récemment le français obligatoire : Bahrein au Moyen-Orient en 2010, la Sarre (peu connue en Macédoine mais symbolique pour les Français) en 2007, la Syrie en 2003, les pays non-francophones d’Afrique de l’Ouest dans les années 2000, dont le Ghana, équivalent à lui seul de la Côte d’Ivoire.

Parfait, pensent certains. On va organiser tout ça. Attention !

2- La francophonie économique est l’affaire des entreprises, pas des États, sauf…

La manie jacobine des Français et leur ignorance de la situation des entreprises a amené certains de mes interlocuteurs à rêver d’organiser cette francophonie économique. Ce serait de l’énergie et de l’argent de perdus, car c’est l’affaire des entreprises et elles ne supporteraient pas une autorité au-dessus d’elles. Cela pourrait même les faire fuir, ce qui serait une catastrophe.

Il est plus utile de comprendre quelles sont les motivations des entreprises. D’abord survivre, et, si possible, se développer. Créer des emplois va en général de pair avec le développement, mais ce n’est pas un but en soi. La langue de travail n’apparaît pas directement, et il faut persuader le chef d’entreprise de son rôle important : rappeler qu’on travaille mieux dans sa langue maternelle ou de formation que dans une langue étrangère, a fortiori si elle est étrangère aux deux parties. Voir l’exemple très étudié du Français et du Japonais travaillant en ensemble en anglais dans « l’alliance » Renault–Nissan… dont la conclusion est que chacun doit travailler dans sa langue et qu’un interprète, de préférence employé par l’une des parties, donc la connaissant bien, coûte beaucoup moins cher que les malentendus évités.

Il faut donc répéter que le travail en français en zone francophone permet que les compétences soient mieux employées, d’éviter des injustices envers des gens compétents mais moins à l’aise dans une langue étrangère, ce qui augmentera l’efficacité. Tout cela est bien sûr affaire de management, donc de la responsabilité du patron … ou d’une école de, justement, management (mot français à prononcer à la française). Plus généralement le système scolaire ou de formation local doit fournir à l’entreprise des employés compétents, et le patron sera heureux d’un recrutement nettement plus simple et infiniment moins coûteux.

Si survivre et se développer, et pour cela rechercher le profit, est l’objectif numéro un, l’environnement psychologique compte aussi beaucoup : se sentir désiré par le pays où on s’implante est très important. Il ne faut pas être considéré comme un intrus, un « sale capitaliste » ou « un colon » que l’on tolère uniquement pour les impôts qu’il apporte. Le rôle des gouvernements francophones et de leur enseignement, non seulement technique mais aussi historique est ainsi primordial. Le gouvernement français est imparfait dans ce domaine, même si d’autres ont été pires.

3- Les débouchés professionnels, vus de Macédoine

Ils peuvent se diviser en deux grands domaines : le salariat et les activités indépendantes

3-1 Le salariat

Pour avoir un poste sur place il faut évidemment parler anglais et français, et si possible mieux français qu’anglais. « Mieux » c’est notamment connaître les « non-dits », donc avoir fait des stages chez les francophones et si possible en France. Un bagage culturel au sens « noble » (culture générale) permet de progresser plus vite dans cette assimilation de la langue. Français « technique » et français « culturel » se complètent plus qu’ils ne s’opposent, à condition que l’enseignant sache s’adapter.

Celui qui a comme langue maternelle un parler qui n’est pas international, comme le macédonien, et parle de plus français et anglais passera devant tout le monde chez ceux qui travaillent dans ou avec son pays. Dans les autres, il passera également devant les Américains et autres monolingues anglophones dans la plupart des grandes entreprises y compris les institutions internationales qui sont de grands recruteurs (toujours à l’échelle d’un petit pays).

Mais de plus en plus de jeunes préfèrent l’indépendance au salariat, ou ne trouvent pas de poste salarié. Les employeurs, de leur côté, apprécient la souplesse des relations non-salariales

3-2 L’aventure individuelle : commerçant, indépendant, entrepreneur …

Le monde moderne regorge de possibilités de carrières indépendantes, encore multipliées par l’essor des technologies numériques. Que faut-il pour cela ? Une bonne formation informatique par exemple est bien sûr très utile, mais l’essentiel est une question de caractère, d’expérience, de milieu familial ou amical etc. Les exemples sont infinis.

J’ai rencontré en Afrique subsaharienne francophone des Libanais chiites ayant fait leur trou dans le commerce ou une petite industrie simple (tuyaux en plastique et autres petits matériels jusque-là importés), puis d’autres, rentrés au pays fortune faite, qui créaient une école franco-arabe dans leur village dont les élèves étaient motivés par cette réussite.

J’ai croisé au Maroc de nombreux Français techniciens modestes ou spécialisés, très demandés par les entreprises locales, qui allaient tous les trois mois dans les « enclaves » espagnoles (Ceuta et Melilla, géographiquement au Maroc) renouveler leur visa de touriste (Chut ! Ça s’arrange général ensuite). J’ai croisé de nombreux  Maghrébins devenu commerçants au Québec … sans parler des très nombreux qui se sont établis en France.

En conclusion

Apprenez le français, surtout sans vous limiter à des formules techniques basiques pour bénéficier pleinement de l’environnement culturel que vous aurez en prime. C’est ce que j’appelle l’utilité de l’inutile

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