Une offensive des musulmans contre les activistes

Nous parlerons aujourd’hui de la réaction à l’islamisme et au terrorisme des musulmans dits « modérés », qui se qualifient eux-mêmes de « normaux ».

Il y a toujours eu des musulmans, des simples individus aux intellectuels, qui ont rejeté l’islamisme, tandis que la majorité ne sentait pas concernée, à l’instar des catholiques français face au terrorisme catholique anti-protestant en l’Irlande du Nord.

Le terrorisme ayant gagné la France, ils se sont sentis sommés de manifester leur « modération ». Dans un premier temps, cela les a agacés : « Il faudrait s’excuser d’être musulman ! » ou « On nous demande à la fois d’être comme les autres Français et de manifester en tant que musulmans, c’est incohérent ». Finalement, face au danger d’amalgame et de stigmatisation, mais aussi face au danger encouru par leurs enfants recrutés par l’État Islamique, les manifestations de rejet se sont multipliées.

Elles n’avaient pas jusqu’à présent les faveurs des médias, car c’était moins « vendeur » que de parler d’un attentat. C’est en train d’évoluer, ainsi qu’en témoigne la revue de presse ci-dessous, où j’ai résumé quelques articles issus de divers médias ayant en commun la réaction de musulmans par rapport au traditionalisme, à l’islamisme et au terrorisme (avec mes commentaires entre parenthèses).

L’appel des 41

Le Journal du dimanche du 31 juillet 2016 a publié l’appel de 41 médecins, chefs d’entreprise, ingénieurs, universitaires, avocats, cadres supérieurs, hommes et femmes, « français et musulmans » qui se sont déclarés « prêts à assumer [leurs] responsabilités » dans la gestion d’un islam de France par une institution envisagée par les politiques au pouvoir ou dans l’opposition.

Excommunier les Wahhabites ?

Du 25 au 27 août 2016 à Grozny, en Tchétchénie, se sont réunis plus de deux cents oulémas dont l’imam de l’université Al-Azhar, au  Caire, l’institution de référence de l’islam sunnite. De nombreux autres pays du Proche-Orient étaient représentés, comme la Syrie (côté Bachar Al-Assad), le Koweït, la Libye, la Jordanie et le Soudan, ainsi que des participants d’Europe, d’Inde, et d’Indonésie.

La conférence était notamment organisée par une fondation soufie, proche des dirigeants émiratis (NDR précision : les 2 seuls pays  wahhabites sont l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui ne fait pas partie de la Fédération des Émirats Arabes Unis). L’état d’esprit général a été qualifié de « néo-traditionnel et quiétiste », c’est-à-dire tentant de concilier tradition, modernité, activité pieuse et pacifisme. Cette tradition sunnite est légaliste c’est-à-dire soutient par principe les régimes en place, « qui sont là parce que Dieu l’a voulu ».

Le sujet de la conférence était  » Qui sont les vrais sunnites ? « , et la conclusion que le wahhabisme ne fait pas partie du sunnisme. Déjà, en  2010, une réunion en Turquie avait abouti à la réfutation de la fatwa du théologien médiéval Ibn Taymiyya, qui autorise des musulmans à excommunier ( » takfir « ) et tuer des coreligionnaires.

Sur le plan politique, on imagine le scandale et la réaction de l’Arabie.

Une analyse par des musulmanes

Le Monde avait organisé un débat entre musulmanes le 17 septembre 2016 sur le thème « L’islam et les femmes, entre fantasmes et réalité ».

À la question « Le Coran est-il misogyne ? », l’écrivaine Asma Lamrabet considère que sa religion n’est pas misogyne par essence, mais en raison de l’interprétation qu’en ont faite les hommes (elle n’est pas la seule de cet avis et j’ai eu des étudiants musulmans « démontrant » que les responsables politiques feraient bien de s’inspirer du Coran pour libérer les femmes).

D’après l’écrivaine iranienne exilée en France Chahla Chafiq, ce qu’il y a dans les textes n’est pas fondamental, car ils seront toujours interprétés par les pouvoirs en place. « En Iran, par exemple, les islamistes ont rejeté la tradition sunnite selon laquelle Aïcha avait 7 ans lorsqu’elle s’est mariée avec Mahomet pour se rallier à la vérité historique, 17 ans, mais ça n’a pas amélioré les droits des femmes et notamment pas mis un terme aux mariages forcés des mineures… on peut démontrer par a + b que le Coran est misogyne et, à l’inverse, on peut démontrer par a + b qu’il ne l’est pas. mais quand l’islam devient la loi, l’interprétation est politique. » (Effectivement bien que l’on n’ait théoriquement pas le droit d’interpréter le Coran, c’est bien ce qui se pratique soit parce que le texte n’est pas précis, soit, plus souvent, parce qu’on l’ignore ou qu’on veut le plier à un objectif politique).

À l’opposé, Asma Lamrabet, témoigne qu’au Maroc où elle vit  « la religion est incontournable, je suis obligée de m’appuyer sur le Coran pour répondre aux hommes qui me disent que je n’ai pas le droit de participer à une conférence. »

Le Monde conclut son compte rendu du colloque par les citations suivantes : « L’islam politique a ruiné l’éthique et la spiritualité  … La laïcité est le seul cadre à même de  protéger la religion … L’islam a besoin d’espace démocratique et de réformes ».

Mohamed VI envoie un message solennel aux Marocains de l’étranger

Le 20 août 2016, il a exhorté les 5 millions de Marocains de l’étranger « à être en première ligne parmi les défenseurs de la paix, de la concorde et du vivre-ensemble dans leurs pays de résidence respectifs…Les terroristes qui agissent au nom de l’islam sont des individus égarés condamnés à l’enfer. Ils instrumentalisent certains jeunes musulmans et exploitent leur méconnaissance de la langue arabe et de l’islam véridique ».

C’est la première fois qu’il s’adresse ainsi directement sur ce sujet aux Marocains de la diaspora. On sait que ces derniers sont souvent encadrés en France par un réseau de mosquées et d’imams « marocains », dont les nouveaux reçoivent maintenant des cours de civilisation française. C’est à rappeler, alors que certains Français se désolent de la présence d’imams étrangers, oubliant que la plupart des imams français n’ont aucune formation.

« Le Maghreb vit dans l’hypocrisie et le mensonge »

La romancière franco-marocaine Leïla Slimani prépare un livre qui s’intitule « Sexe et Mensonge » :  « C’est une série d’entretiens et de réflexions sur la sexualité des femmes au Maroc, dont ce que disait Kamel Daoud sur la misère sexuelle au Maghreb. Pour moi, toute la question est de savoir si une société peut longtemps rester schizophrène. Tu peux faire les choses, mais en cachette : ne fais pas le ramadan, couche avec qui tu veux, mais tant pis pour toi si tu te fais prendre… »  (Le Point, 15 septembre 2016)

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Tout cela est intéressant et important, mais le plus dramatique est toujours la situation en Syrie.

Un nouvel embrouillamini sur le front syrien

Les États-Unis et l’URSS semblent s’être donnés beaucoup de mal pour organiser une trêve, ravitailler la population civile et coordonner leurs actions contre l’EI. Après plusieurs jours de calme, la trêve a été rompue à la suite de deux opérations qui interrogent :

– la première fut un bombardement américain, violent et efficace, sur une position clé de l’armée syrienne, suivi d’une attaque immédiate de l’EI qui a occupé cette position, comme s’il avait été informé au préalable de ce bombardement. Je n’ai pas compris si la contre-offensive de l’armée syrienne avait été réussie. Les États-Unis se sont excusés de « cette erreur ».

– la deuxième est un bombardement par l’aviation syrienne du convoi humanitaire péniblement mis sur pied, ce qui a déclenché une très violente intervention américaine à l’ONU.

Je ne sais pas s’il y a un lien entre ces deux événements. On peut penser à des représailles ou à un problème intérieur à un des deux camps, tel que par exemple un désaccord entre Bachar et les Russes.

Pendant ce temps, l’offensive turque anti-kurde se poursuit en Syrie, sans que les Américains, alliés des deux adversaires, ne se manifestent, du moins publiquement.

Yves Montenay
Echos du Monde Musulman – 21 septembre 2016

6 commentaires sur “Une offensive des musulmans contre les activistes”

  1. Je voulais poster ce commentaire sur Contrepoints ce matin, mais un incident technique l’interdit.

    Le titre de cet article laisse pantois : quel que soit son contexte, toute offensive est une attaque brutale et soudaine. Or, rien ne permet de qualifier ainsi la situation présente et ces quelques citations à l’eau tiède. Par ailleurs, si la plupart des catholiques français ne se sentaient pas concernés « face au terrorisme catholique antiprotestant en Irlande du Nord », c’est qu’il s’agissait d’une question de politique intérieure specifique au Royaume (dit) « Uni », et non d’une menace planétaire. L’IRA n’a pas entretenu une cinquième colonne en France, ni massacré les Français sur leur sol, ni terrorisé le reste du monde pour imposer le « papisme ». La comparaison qui assimile au christianisme, ou à toute autre religion, le projet politique totalitaire de restaurer le califat par le viol et la décapitation trahit une erreur intellectuelle capitale, un contresens aux conséquences tragiques. Ce relativisme du « tout se vaut qui fait le lit du n’importe quoi », disait le sociologue Raymond Boudon, fait le jeu d’hérétiques phallocrates qui égorgent les prêtres et massacrent les mécréants de toute confession. Leurs premières victimes sont d’ailleurs les « mauvais » musulmans, dont le seul crime est de vouloir bénéficier des libertés démocratiques que leur accorde leur terre d’accueil.

    Permettez-moi de contribuer au débat en laissant la parole à trois musulmans courageux et lucides, qui parlent d’EXPERIENCE. Ils se désespèrent de voir les Occidentaux faire à nouveau le jeu des assassins, par angélisme pacifiste, comme ils l’ont fait dans l’Entre-deux guerres, face à la montée du bolchévisme, du stalinisme et du fascisme. Ils sortaient de la pire boucherie de leur Histoire. Nous n’avons pas cette excuse pour manquer à notre tour de lucidité et de courage et de tergiverser en braillant padamalgame.

    Boualem Sansal, écrivain
    L’islamisme sait s’adapter, il se fiche de la culture du pays, il veut la détruire et imposer la sienne, et comme il a trouvé des recrues en Algérie, il trouvera des recrues en France. Aujourd’hui il les sollicite, les prie ; demain il les forcera à assumer leurs devoirs de soldats du califat, et le premier de ces devoirs est de libérer l’islam de la tutelle de l’état mécréant qu’est la France. En Algérie, les maquis islamistes étaient pleins de jeunes qui ont été forcés de faire allégeance à l’émir de leur village, de leur quartier. C’était rejoindre le maquis ou se faire égorger ainsi que toute sa famille. S’il s’évade, c’est toute la famille, voire tout le village, qui paie. (Le Figaro, 17 juin 2016)

    Djaffer Ait Aoudia, journaliste.
    La ville (Avignon) est plus connue pour son festival de théâtre que pour ses salafistes belliqueux. Pourtant, dans les quartiers de la Reine-Jeanne, les imams et leurs apôtres tiennent une zone de près d’un demi-million d’habitants sous la terreur de leurs prêches intégristes. Beaucoup sont gagnés par leur prosélytisme violent, les autres se taisent. (Paris-Match, 27 janvier 2016)

    Fewzi Benhabib, universitaire.
    A Saint-Denis, une fracture s’est ouverte que mon expérience algérienne m’empêche d’ignorer. Elle se creuse là, le long des trottoirs au milieu des rues, au marché le dimanche, et pourtant les citoyens politisés refusent de voir qu’un projet de société alternatif, obscurantiste, communautariste ronge le ciment démocratique, qu’ils veulent, que nous voulons tous plurielle. Cette cécité volontaire ne heurte pas seulement mon esprit scientifique, elle porte en elle un danger pour la démocratie et pour l’humanité entière qu’il est utile de pointer- à moins qu’il ne soit déjà trop tard. (Marianne, 16 novembre 2016)

    1. Je comprends votre idée mais ne vost pas en quoi elle s’oppose à mon article : comme la grande majorité des Français je suis opposé à tous les fanatismes et en particulier regrette la faiblesse de notre gouvernement en politique intérieure, et les témoignages dont faites état me paraissent fondés. Je connais bien le monde musulman et notamment l’Algérie. La guerre d’indépendance (je précise toujours aux Algériens qu’il ne s’agissait pas d’une guerre de libération, puisqu’ils sont moins libres qu’avant) a opposé de multiples courants dont aucun ne doit être nié. Mon travail est celui d’une meilleure compréhension réciproque, notamment pour éviter le piège tendu par les islamistes qui est d’exciter les Occidentaux contre les musulmans de leurs pays de manière à pouvoir recruter massivement. C’est dans cet esprit il faut lire ce que j’écris, mais je suis bien conscient de l’immense variété des situations et des idées tant côté musulman que côté occidental.

  2. L’appel des 41, tout comme les propositions pour l’islam de France de l’institut Montaigne sont absolument catastrophiques pour l’image d’un islam « normal ».
    On rappellera qu’on a 3 parties (d’après le sondage, en plus, mais on le savait déjà): 50 % de véritables normaux, en gros partisans d’une pratique privée conforme à la civilisation, 25% de politisés (les auteurs du rapport) qui veulent faire pression sur la société, imposer une présence visible de la religion et rompre avec la laïcité traditionnelle. C’est là qu’on trouvera les lobbies liés de prés ou de loin à l’islam politique et donc aux frères musulmans et toutes leurs variantes fascisantes. Les 25% restant, c’est l’islam rock and roll: la folie salafiste « quiétiste »(tu parles) ou violente, qu’il va falloir affronter dans les années à venir.
    Toute la question en discussion y compris à droite (par exemple un Alain Juppé semble s’être fait avoir) est de savoir si pour maitriser les 25 % de fous furieux, il faut donner des gages aux 25% de politisés. N’oublions pas que le slogan de Tarek Obrou (l’imam de Juppé) est qu’il se déradicalisa grâce aux frères…
    François Fillon propose de lutter explicitement contre le salafisme (les fous) ET contre les frères musulmans (les politisés). Il a raison. On rappellera aux 50% de musulmans normaux que se profilent dans l’avenir des politiques bien pires qui ne feront pas de détails.

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