Le temps de travail : sortir des postures électorales

La campagne des présidentielles a remis à l’ordre du jour la durée du travail. François Fillon, Emanuel Macron et Benoît Hamon veulent respectivement supprimer les 35 heures, les maintenir ou travailler encore moins.

Déjà la controverse sur les emplois soi-disant créés par les 35 heures avait rebondi en juillet 2016 avec un rapport « confirmant » la création de 350 000 emplois.

L’inspection générale des affaires sociales (IGAS) le trouve peu pertinent et ne l’a donc pas diffusé, mais les syndicats l’ont fait fuiter pour entretenir le mythe. Or les diminutions massives du temps de travail : les 39 puis 35 heures, ou la retraite à 60 ans sont des erreurs majeures de la gauche, erreurs économiques, mais pire encore, erreurs contre l’esprit.

D’abord il s’agit de postures purement électorales, qui ont servi à gagner les élections de 1981 et 1997, et, espère-t-on, celles de 2017. On en appelle au mythe de la création d’emplois, ces fameux 350 000 pour les 35 heures et « laisser la place aux jeunes » pour la retraite à 60 ans.

Sur le plan logique, la question est pourtant très simple, voire triviale.

Une question « triviale »

En mathématiques, le mot trivial est utilisé pour un résultat évident ne justifiant pas une démonstration. En l’occurrence travailler moins ne peut qu’appauvrir, toutes choses égales par ailleurs. On devrait s’arrêter là.

Mais il y a eu tellement « d’embrouilles » qu’il faut reprendre le raisonnement pas à pas. Commençons par raisonner à emploi constant, avant de voir l’éventuel impact sur le chômage :
– chaque personne travaillant moins produit moins. Si la diminution du temps de travail se généralise, il y aura moins de biens et de services disponibles par personne. C’est-à-dire une diminution du salaire réel.
– vous me direz qu’à chaque fois le salaire a été maintenu, et que l’on a que sous-entendu qu’il en irait de même pour les retraites. Mais il s’agit du montant nominal, c’est-à-dire du nombre d’euros reçus. Reste donc à savoir quel sera le pouvoir d’achat de ces euros.
– dans un monde clos, la réponse est simple : distribuer le même montant de revenus pour une production moindre entraîne une hausse des prix qui fera baisser le salaire réel du pourcentage de la réduction du temps de travail. Ou si une forte concurrence empêche la hausse des prix, ce sera la faillite de certaines entreprises qui ne pourront payer autant en vendant moins, donc une forte baisse de revenus pour ceux qui perdent leur emploi. On a l’expérience du Front Populaire : la baisse de la durée du travail et l’augmentation des salaires nominaux dans un monde clos ont mené à l’inflation, à la dévaluation et au chômage. Il a fallu inventer les heures supplémentaires en 1938 pour en sortir. Merci Alfred Sauvy !
– dans un monde ouvert, il y aura un déficit commercial payé par l’endettement. Cela ne fera que retarder l’appauvrissement décrit ci-dessus, en passant la patate chaude aux gouvernements suivants. Voir par exemple les dévaluations méditerranéennes.

À emploi constant, il y a donc une contraction générale de l’économie. Mais, dit la gauche, on embauchera pour produire autant qu’avant.
Supposons.

Le mirage des embauches supplémentaires

Si des embauches maintiennent la production au niveau antérieur, cette production devra supporter le coût du personnel supplémentaire, et on est ramené au problème précédent.
De plus, en pratique, des embauches permettant de retrouver le niveau antérieur de la production ne sont souvent pas possibles : on ne trouve pas les gens de la qualification qu’il faut là où il faut. Par exemple si une agence bancaire avait quatre employés et si le travail baisse de 10 %, trouvera-t-on à proximité quelqu’un ayant la qualification des 3 autres pour travailler à temps partiel, soit 33 % d’un temps complet dans cet exemple ? En deux mots, l’économie n’est pas infiniment fluide.
La conclusion triviale était donc la bonne : si on travaille moins, on s’appauvrit !

Mais, pour ne pas être accusés de mensonges électoralistes, les promoteurs de cette idée ont deux arguments, l’un faux et l’autre boiteux.

Deux mauvaises réponses

La première est que « les statistiques » montrent des créations d’emplois. Pas pour la retraite à 60 ans, qui pourtant a été la mesure la plus massive, mais pour les 35 heures. Mais on oublie que les statistiques économiques évoluent à la suite de mille causes structurelles, conjoncturelles, fiscales, politiques… Or, après l’application des 35 heures, bien d’autres facteurs ont joué sur l’emploi, notamment une bonne conjoncture économique et les allégements de charges. Rajoutons que ces allégements de charges sont payés par l’État et donc pèsent indirectement sur les salaires réels. On retrouve nos raisonnements précédents.

Une autre réponse des défenseurs de la diminution du temps de travail est que ce dernier diminue dans tous les pays avec le développement. C’est vrai, mais ça n’a rien à voir avec le problème posé. En effet une hausse de la productivité de 2 % par an multiplie la production par 2 à chaque génération. Et la majorité préfère légitimement non pas deux fois plus de biens et de services, mais seulement, disons, 1,8 fois plus et diminuer son temps de travail de 10 %. À l’étranger, cela se négocie dans chaque entreprise au fur et à mesure de ses possibilités : on partage les gains de productivité. On est loin du coup de massue juridique, qui a, lui, un effet négatif.
Cet exemple montre que la diminution du temps de travail est une consommation comme une autre : on achète du temps libre par une moindre progression du pouvoir d’achat comme on achèterait un abonnement à un smartphone. Cela n’a rien à voir avec l’emploi.

Un crime contre l’esprit

Tout le monde peut se tromper et prendre des postures électorales qui se révéleront négatives. Mais, en l’occurrence, c’est plus grave, puisque l’on proclame que l’évidence et la logique peuvent être niées par la politique : « On nous dit que ramener la retraite de 65 à 60 ans n’est pas possible. Regardez, je le fais, la loi est votée ». Comme si une loi était en mesure de changer la pyramide des âges ! Plus généralement on suggère qu’une amélioration peut tomber du ciel « gratuitement », en mettant de l’encre sur du papier.
La posture a besoin du mythe. Tant pis pour l’analyse rationnelle.
Il paraît qu’aux démographes qui lui disaient « Nous ne pourrons pas payer les mêmes retraites à partir de 2006 en maintenant le départ en retraite à 60 ans », Mitterrand avait répondu : « 2006 ? Nous sommes en 1981 et je veux gagner les élections ».

Yves Montenay

Merci à L’Opinion d’avoir relayé cette tribune sur son site.

Pour approfondir, vous pouvez aussi lire d’autres articles sur la productivité ici.

15 commentaires sur “Le temps de travail : sortir des postures électorales”

  1. Le rapport en question, par ailleurs pitoyable expression de ce que des députés fanatiques groupés en faction peuvent produire de plus lamentable, crache tout de même un beau morceau: la moitié des embauches en question concerna (bien sur) des fonctionnaires !

    Pour mettre les points sur les « i »: un gaspillage insensé construit sur une conception absurde de l’économie (le partage du temps de travail) concerna à moitié (et ces sont ses partisans qui le disent) la décision délibérée de l’état de réduire le chômage en embauchant des travailleurs inutiles.

    1. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais besoin d’embaucher. J’ai attendu patiemment la date fatidique pour bénéficier des aides à l’embauche compensant les réductions du temps de travail. Combien d’embauches ont été le fruit de cet effet d’opportunité? Je parierais bien que cela a représenté l’autre moitié!

  2. la retraite à 60 ans a eu aussi d’autres effets pervers, comme le fait de la non-transmission des savoirs, la mort de ces nouveaux « inactifs » désespérant d’êtres utiles et considérés socialement, certains d’entre eux ayant été même « jeté dehors » sans ménagement à 58 ans et oh! stupeur! 56 ans, vous avez bien lu.
    nb curieusement le pic de la courbe de mortalité publié par l’Insee vers les années 87/88 a été « réajusté » de telle façon qu’on ne puisse plus rien définir à ce propos.sauf à consulter les archives . . . gardées comme le trésor de la tour de Londres ?

  3. Article clair, sensé et utile parce que :
    – les sottises ou mensonges des promoteurs des 35 heures et de la retraite à 60 ans ont la vie dure ;
    – trop de Français sont ignares en économie ;
    – d’autres Français font l’autruche et n’osent avouer espérer que ces  » avantages  » continueront au prix de l’exploitation des CDD et autres travailleurs précaires, du matraquage des indépendants, etc. : plus généralement, les 3/5 ou les 2/3 de la population (fonctionnaires et  » quasi-fonctionnaires  » [RATP, SNCF, EDF, etc.] + CDI du privé) assoient leur niveau de vie sur l’exploitation cynique de la minorité restante ;
    – beaucoup de ceux qui sentent plus ou moins clairement que ces  » acquis  » sont une aberration économique et donc une catastrophe et un handicap croissant pour notre pays n’ont pas le courage moral d’admettre – et encore moins de demander – que ces dispositions soient abolies de toute urgence.
    Merci et bon courage à tous ceux qui militent pour l’abolition des 35 heures et de la retraite à 60 ans…

  4. Bonjour Yves
    les pays qui ont le moins de chômage sont aussi ceux qui ont le plus de temps partiel à savoir 32 heures en moyenne source OCDE (séries longues) et ce sont par ailleurs les pays qui sont les moins endettés et la meilleure croissance (hors Grande Bretagne) , donc il n’existe pas de règles absolues. La question de la France est la rigidité et l’absence de reconversion obligatoire et d’acceptation d’un emploi. Le succès d’un pays comme les Pays Bas que je connais bien est la pratique du temps partiel annuel en liaison avec l’employeur et l’utilisation du temps restant pour faire travailler des étudiants ou autres personnes. Ceci est vrai dans tous les pays nordiques

  5. Le problème vient de la notion de durée légale du travail. Si la durée du travail et sa rémunération étaient laissées à la décision/négociation de chaque entreprise, il n’y aurait pas toutes ces distorsions. Les gains de productivité profiteraient dans des proportions variables aux actionnaires, salariés (salaire ou durée de travail), clients…
    Les problèmes économiques viennent toujours de l’interventionnisme de l’Etat.

  6. Il y a un mot dont je regrette l’absence : ROBOT !
    c’est la solution-miracle : des machines (travaillant 35 heures par jour, ne tombant jamais en panne et ne se mettant jamais en grève) produiront tout à prix symbolique, donc les humains n’auront plus qu’une activité : partager le gâteau.Le partage sera toujours inégal, mais il sera différent : la part du lion sera pour les monopolistes syndiqués de la communication et de l’électricité. Les robots appartiendront à l’État ; seront-ils syndiqués ? Évidemment il y aura toujours des peuplades qui n’auront pas de robot et qui achèteront la production des nôtres au prix fort, pour que nous puissions payer nos importations car le robot producteur de pétrole et de bananes n’existe pas encore.

    1. Je pense que l’arrivée des robots aura des conséquences analogues à celles des autres progrès techniques : un progrès du niveau de vie, sauf stupides mesures de blocage.

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