Echos du Monde Musulman 249 – 14 février 2015

Au sommaire de ce numéro : l’Émirat Islamique est-il une éruption momentanée ou un véritable État ? – La réaction anti-talibane au Pakistan une bonne nouvelle pour les musulmans joueurs de poker.
L’EI, éruption provisoire ou Etat organisé ?

Echos-MM-249Voici d’abord une carte de la CIA étant précisé que l’Émirat Islamique n’est pas la
Syrie, mais seulement sa partie orientale, à laquelle s’ajoute la partie nord non-kurde de l’Irak, et de plus en plus de « provinces » dans différents pays dont le Sinaï égyptien et certains quartiers de villes libyennes.
Lorsque que l’Émirat Islamique (en transcription française de l’arabe : DAËCH, en
copié-collé de l’anglais : Daesh) est apparu, avec un « calife » (successeur de Mahomet)
autoproclamé à sa tête, les spécialistes se sont divisés en deux camps. Je dis tout de suite que je ne choisis pas entre chaque camp, non seulement du fait d’une information imparfaite, mais aussi parce que chaque spécialiste essaye de briller en avançant des arguments « faisant vendre », même lorsqu’ils ne sont pas solides.
Le premier groupe de spécialistes a évoqué une éruption de violence provisoire, une
organisation anachronique sans avenir, du fait du rejet par des populations effrayées par son comportement brutal et parce qu’une organisation se référant à des notions moyenâgeuses ne peut pas durer. Dans un deuxième temps ils ont attribué sa consolidation aux immenses erreurs du précédent gouvernement irakien, qui a placé les populations sunnites sous la botte des chiites, puis a laissé son armée fuir les territoires sunnites en abandonnant tout le matériel militaire américain et des sommes importantes dans les banques, sommes s’ajoutant à la vente du pétrole des zones occupées en Syrie et permettant de payer les volontaires.
Un deuxième groupe de spécialistes, que l’on entend davantage actuellement, insiste
au contraire sur le fait que l’Émirat Islamique est un État organisé de manière durable :
– il s’est arrangé pour continuer à bénéficier de l’administration syrienne (Bachar El
Assad a longtemps continué à payer les fonctionnaires travaillant dans la zone du « califat » ; aujourd’hui je ne sais pas), idem probablement aussi de l’administration locale irakienne,
– l’opposition des sunnites (encadrés en Irak par les cadres de l’armée de Saddam) aux
Chiites en Irak et aux Alaouites en Syrie, est profonde et nourrie par des massacres récurrents,
– les populations qui ont fui sont plutôt kurdes, chrétiennes ou yezidies qu’arabes
sunnites (la vérification est difficile : il y a des millions de réfugiés en Turquie au nord, au
Kurdistan irakien au nord-est, dans ce qui reste de l’Irak au sud, en Jordanie au sud-ouest, au Liban à l’ouest …)
– quelle que soit la politique des États de la région, leur territoire est mal contrôlé, et le
trafic de pétrole, d’armes, de rançons, de droit passage réunit les djihadistes et de nombreux acteurs des états voisins, donnant à l’EI le moyen de payer des mercenaires (ou de motiver des volontaires, comme on voudra) et d’administrer la zone qu’il contrôle,
– l’EI ferait régner l’ordre public, même si ce dernier est religieusement très sévère,
distribuerait de la nourriture, aurait rétabli l’électricité, comme un véritable État,
– ce qui paraît moyenâgeux aux yeux des Occidentaux paraît au contraire légitime à
beaucoup de sunnites pour qui le califat est non seulement religieusement normal, mais en plus évoque les grandes heures de l’empire arabe (dénomination discutable, mais c’est ce qui est enseigné à l’école arabe) avant que ce dernier ne disparaisse sous les coups notamment des Turcs et des Mongols, sans parler, plus tard, des Européens. La propagande de l’EI ne manque pas de rappeler vouloir rendre aux sunnites « la dignité, la puissance, les droits et leur prééminence passée ». Par ailleurs leur stratégie de communication n’a rien de moyenâgeux, et est au contraire extrêmement moderne, ce qui montre qu’il y a dans leurs rangs des spécialistes d’Internet et des réseaux sociaux.
C’est illustré par le succès de son recrutement à l’étranger : 20 000 combattants
étrangers en provenance de 90 pays sont actuellement partis rejoindre les rangs djihadistes en Syrie, affirme l’administration américaine. Parmi eux, 3 400 sont des Occidentaux (voir carte plus haut). La propagande en ligne de l’EI a produit 250 émissions depuis le 1er janvier. Il y a celles des meurtres d’otages, mais aussi des images bucoliques, familiales de la vie sous son autorité et des références à la culture occidentale, comme des jeux vidéo. Il a lancé « YODO (you die only once : on ne meurt qu’une fois), pourquoi ne pas choisir le martyre ? ».

La réaction anti-talibane au Pakistan

Vous souvenez que l’armée pakistanaise, ou du moins ses services spéciaux, était
indulgente envers les talibans et autres djihadistes, parce que leur combat était utile à la
stratégie anti-indienne du Pakistan en Afghanistan, au Cachemire, voire ailleurs comme à
Bombay.
Lorsque les djihadistes « exagéraient », par exemple en occupant de façon sanglante la
vallée touristique de la Swat, l’armée réagissait, mais ça ne durait pas, malgré l’alliance avec les États-Unis.
Il y a deux mois des talibans ont tué une centaine d’enfants dans une école, et la
réaction de l’État pakistanais paraît plus vigoureuse. Le gouvernement a décidé de prendre le contrôle des écoles « djihadistes » (c’est un raccourci grossier), qui ont ont actuellement 200 000 élèves (mais que va-t-il se passer concrètement ?). Le parlement unanime a donné de larges pouvoirs à l’armée y compris sur le plan judiciaire. Par ailleurs les condamnés à mort par la justice civile recommencent à être exécutés (il en a 8.000 en attente !), et de nombreuses autres condamnations, maintenant par les militaires, sont probables. Mais les juges sont réticents : « nous n’avons pas été nommés pour nous faire tuer en représailles par des islamistes ».
Bref le monde extérieur se demande si cette réaction anti-talibane va durer.

Le poker halal

Pour passer à un registre plus frivole, rappelons qu’un député islamiste marocain dont le fils a été classé troisième à un championnat mondial de poker, a déclaré que ce n’était pas
un jeu de hasard (ce qui est interdit aux musulmans), mais « une compétition et un sport qui fait appel à l’intelligence et à la capacité d’analyse mathématique de chacun ».

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