Drapeau EI

Va-t-on enfin faire la guerre à l’État islamique ?

Officiellement, l’État Islamique (EI) a tout le monde contre lui : pour commencer, les chiites (donc l’Iran, l’Irak et la Syrie -je veux dire l’armée régulière et les milices de ces deux derniers pays) ainsi que l’Arabie, la Jordanie, la Turquie, la France, les États-Unis et j’en oublie. Mais dans l’ensemble, malgré ses atrocités et la menace de ses combattants clandestins dans le monde entier, on a l’impression qu’on le laisse assez tranquille.

Une guerre bien molle

Certes, dans telle ou telle bataille, les frappes aériennes (surtout américaines et un peu françaises) ont contribué à le faire reculer. Cela a été le cas pour aider les Turcs de Kobané, mais les autres exemples dont j’ai entendu parler tiennent sur les doigts d’une main.

Quand on pense à l’habitude américaine, et aujourd’hui séoudienne, d’écraser l’adversaire sous les bombes, quitte à tuer de nombreux civils (en France pendant la deuxième guerre mondiale, au Vietnam, en Irak et, pour l’Arabie, au Yémen), on est surpris de savoir que sont épargnés les quartiers habités par les dirigeants et les combattants de l’EI à Mossoul et dans ses deux autres capitales. Et que sont également épargnés les convois du carburant et de munitions qui sont nombreux à traverser la frontière turque, et même, paraît-il, celle des autres pays frontaliers : Iran, Arabie et Jordanie. Les trafiquants de ces pays ont probablement des relations haut placées, à moins que certains gouvernants ne suivent pas la position officielle de leur pays.

De même, le régime de Bachar El Assad semble avoir épargné son pire ennemi pour concentrer ses forces sur les autres rebelles.

De même également la Turquie a jusqu’à présent laissez-passer le flot des volontaires djihadistes allant renforcer l’EI et interdit aux avions américains et français sa base beaucoup plus proche des combats, alors qu’il s’agit d’une base de l’OTAN dont la Turquie fait partie. Les États-Unis exerceraient de fortes pressions sur le gouvernement turc pour que tout cela cesse, mais Ankara ne veut pas participer à tout ce qui pourrait favoriser indirectement les Kurdes, et donc pour commencer à ce qui pourrait affaiblir l’EI. Nous verrons si le nouveau gouvernement turc change de position. Tout dépend de la coalition qui sera montée : si elle se fait avec le parti ultranationaliste, l’orientation anti-Kurdes pourra continuer.

Une coalition hétéroclite et désunie

Une partie de l’explication de cette mollesse envers l’EI vient des intérêts divergents des membres de la coalition:

– les pays sunnites (Turquie, Arabie et dans une moindre mesure la Jordanie) partagent l’hostilité de l’EI envers les chiites,

– l’Iran aide bien sûr les régimes chiites de l’Irak et de Syrie, mais reste néanmoins un ennemi des États-Unis, qui est en principe le chef de la coalition. Et le guide suprême iranien vient de préciser que les États-Unis resteraient un ennemi même en cas d’accord sur le nucléaire iranien,

– l’Arabie est violemment opposée à l’Iran, et s’inquiète de la tiédeur des États-Unis qui ont moins besoin de son pétrole et vont peut-être lever les sanctions envers l’Iran.

Bref la coalition anti EI est loin d’être unie, et son chef, Barak Obama, craint comme la peste de devoir se lancer vraiment dans une nouvelle guerre, car le Vietnam, l’Irak et l’Afghanistan sont vraiment de mauvais souvenirs

Qu’est-ce qui pourrait changer ?

Les positions évoluent :

– les pays sunnites (Turquie surtout, mais aussi Arabie et Jordanie) semblent aider davantage les rebelles syriens autres que l’EI pour faire tomber Bachar El Assad. Un nouveau gouvernement mixte alaouite – sunnite à Damas aurait l’appui de tous, États-Unis, Iran et peut-être même Russie, pour combattre l’EI. En effet Poutine commence à s’inquiéter de l’EI en pensant à ses djihadistes du Caucase et à ceux qui pourrissent ses amis d’Asie centrale et leur frontière avec la Chine (voir « Poutine et le terrorisme islamique »). Elle pourrait revoir son blocage à l’ONU et son soutien à la personne de Bachar qui est une des grandes causes de la paralysie actuelle. Mais cela prendra du temps.

– l’accord signé le 14 juillet entre les 6 puissances mondiales (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) et l’Iran, s’il se concrétisait, pourrait précipiter une évolution à Damas et peut-être permettre une meilleure coordination entre américains et iraniens en Irak. Là aussi, cela prendra du temps.

– Enfin, la menace terroriste inquiète de plus en plus de pays, et comme les terroristes  de France, de Tunisie, de Libye et finalement de partout, proclament de plus en plus leur rattachement à l’EI, il y aura peut-être la prise de conscience par les opinions publiques et les responsables politiques qu’il faut passer à une vraie guerre.

Notre gouvernement a déclaré « nous sommes en guerre ». Il serait temps que les autres se réveillent !

Yves Montenay
Echos du Monde Musulman n°262
14 juillet 2015

 23 juillet 2015, dernière minute :  un tournant turc ?

Le 14 juillet,  j’épinglais la complicité turque envers l’EI, en signalant à la fin que cela pourrait changer.

Eh bien c’est le cas : la Turquie et l’EI sont dans une escalade d’attentats et de représailles. Il est trop tôt pour savoir si ça va rester ponctuel ou si la Turquie va enfin intervenir régulièrement contre l’EI. Un indice : l’aérodrome de l’OTAN situé juste à côté de la Syrie vient enfin d’être ouvert à la coalition à anti-EI.

Mais l’ambivalence turque demeure puisque, parallèlement, son armée a recommencé à frapper le PKK, principal mouvement des Kurdes de Turquie et de Syrie, qui se bat lui aussi contre l’EI, notamment à Kobané.

 

2 commentaires sur “Va-t-on enfin faire la guerre à l’État islamique ?”

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