La Chine devra-t-elle choisir entre dictature et croissance ?

La « miraculeuse » croissance chinoise est-elle réelle et solide ? En fait ce grand pays revient à la normale après 30 ans de maoïsme en utilisant intelligemment l’avance occidentale. Mais n’oublions pas qu’elle cumule les handicaps d’un régime politique rigide, d’une démographie vieillissante, de son endettement et de la pollution. Son  « empereur » saura-t-il relever ces défis ?


En janvier 2014, en pleine sinomania, je publiais « Quand la Chine s’effondrera », qui m’a valu des remarques ironiques. Depuis les problèmes chinois sont apparus au grand jour, et j’ai fait à intervalle régulier le point de la situation chinoise dans plusieurs articles. Je vous en propose ici une synthèse actualisée en 2017.

La Chine, une réussite de développement, mais…

Nous avons perdu de vue à quel point Mao avait détruit la Chine, tant économiquement qu’intellectuellement.

À sa mort, la priorité était de s’alimenter, puis d’avoir « les 3 qui tournent » : le vélo, la machine à coudre et la montre. Je rappelle l’excellente et très factuelle BD « Une vie chinoise », récit autobiographique du dessinateur chinois Li Kunwu. On y remarque notamment que l’immédiat « après Mao » se passe souvent autour d’une table, car on peut enfin manger !

Mon grand-père communiste me répétait : « On peut dire ce qu’on veut de Mao, mais il a donné à chaque Chinois un bol de riz par jour ». Ayant grandi, je me suis aperçu qu’il récitait la propagande maoïste, alors que sévissait la plus grande famine qu’a connu l’humanité.

Après la catastrophe de « la révolution culturelle », un simple rétablissement de l’ordre public permit déjà une grande amélioration. Puis on donna un début de sécurité aux paysans en leur donnant un droit d’usage leurs terres, ce qui permit de nourrir normalement la population. Les réformes très progressives autorisant un secteur privé et l’ouverture sur l’étranger ont permis d’aller plus loin.

Une partie de la croissance chinois est réelle et concrète : on mange à sa faim, on a en général un logement et souvent une voiture, du moins pour les natifs de la ville, les migrants internes étant bien moins lotis. L’amélioration est vertigineuse depuis une génération. Mais ce n’est pas un miracle.

Rappelons le calendrier :

  • 1978 : début des réformes, donc il y a 40 ans ! La Corée, Singapour et Formose ont fait mieux.
  • 1980 : zones économiques spéciales
  • 1989 Tien An Men
  • 1992 proclamation de l’économie socialiste de marché
  • 2001 la Chine rejoint l’OMC
  • 2008 crise mondiale dont la Chine sort par « le financement du n’importe quoi » par la dette
  • 2015-17 : essoufflement du modèle de développement

N’oublions pas qu’être en retard permet à un gouvernement sérieux de progresser très vite : les investisseurs étrangers apportent les méthodes d’organisation, les techniques, le matériel et en enseignent l’usage. Mais quand le retard diminue, le modèle s’essouffle, comme au Japon. Remarquons que cet essoufflement arrive à un niveau de développement très inférieur à celui de ce dernier pays, une démocratie libérale.

Où en est la Chine en 2017 ?

Ces 50 ans de progrès (ou de retour à la normale) n’a mené le pays en parité de pouvoir d’achat (PPA) par tête qu’à 12 000 $ contre 53 000 $ aux États Unis et 79 00 $ à Singapour (FMI 2015). Si l’économie privée a fleuri, les entreprise d’État restent prédominantes, l’État contrôle le foncier et les grands flux financiers. Le politique prime : un bureaucrate peut toujours tuer une entreprise.

Avec une consommation privée de 38 % du PIB en 2014, seul un gros tiers de l’économie est au service de la population, le reste étant largement gaspillé dans des investissements inutiles, dont une partie n’est pas perdue pour tout le monde : on évoque la très grande richesse des « princes rouges », dont certains ont réussi à mettre une partie de leur fortune à l’étranger (cf notre article Chine d’en bas contre Chine d’en haut).

En outre, ces chiffres de l’économie ne prennent pas en compte les impacts grandissants du vieillissement, de l’endettement et de la pollution.

La démographie chinoise : pire que prévue !

Le recensement de 2010 a révélé un taux de fécondité de 1,19 (source Zhigang Guo and Baochang Gu, pour l’INED) alors que les chiffres couramment cités auparavant étaient de 1,4 à 1,5 (le chiffre oficiel depuis est variable selon les sources et la probable réintégration d’enfants « noirs »). D’ici 2050 la population d’âge actif devrait ainsi décroître de 250 millions, tandis que le nombre de plus de 60 ans explosera : un quart de la population en 2030, contre 16 % aujourd’hui.

A ce taux de fécondité déjà très bas s’ajoute le manque de femmes, conséquence des avortements sélectifs générée par la politique de l’enfant unique. Et ces femmes déjà rares restent souvent célibataires ou retardent leur mariage.

Il faudrait donc, comme en Europe, relever massivement l’âge de la retraite (60 ans pour les hommes, 50 pour les femmes). Pour l’instant, le pouvoir veille à ne pas prendre des décisions désagréables qui multiplieraient encore les manifestations dues à la pollution et à la saisie des terres agricoles au profit des autorités locales.

La conséquence la plus immédiate de cette crise démographique sera la chute de l’immobilier. Elle sera suivie d’une contraction d’ensemble, sauf si la Chine parvient à un très fort accroissement de sa productivité. En attendant, l’immobilier, le charbon, l’acier, les panneaux solaires voient se multiplier les stocks d’invendus. Ce qui n’arrange pas le problème de la dette.

La dette et la chute de la productivité en Chine

La contrepartie des investissements inutiles ou sous–utilisés est bien entendu un endettement à tous les niveaux et la masse de ces créances douteuses pèsera un jour ou l’autre, directement ou indirectement, sur les performances économiques.

La dette dépasse 260 % du PIB, contre 140 % avant la crise de 2008, soit largement plus que les États-Unis, la zone Euro ou le Japon.

L’inquiétude croît d’un « choc économique et financier » (agence Fitch). Si la prévision de croissance pour 2017 a été relevée par le FMI à 6,7 %, ce dernier regrette de voir privilégier la croissance à court terme au détriment des réformes structurelles : suppression du soutien aux entreprises d’État « zombies » et renforcement du rôle du marché dans l’économie. Pour l’instant, en effet, les entreprises publiques bénéficient d’un accès privilégié au crédit, aux ressources naturelles et au foncier. (cf notre article « Chine : fausse croissance donc fausse crise ? »)

Tout cela alimente des industries vieillissantes et/ou en surcapacité. Cela diminuera la productivité de l’ensemble de l’économie et sa capacité à rembourser les dettes. L’action « volontariste » du pouvoir s’ajoutant au « copinage » a généré les bulles de l’immobilier, du charbon, de l’acier et aujourd’hui des panneaux solaires. Verrons-nous demain celles des robots et de la voiture électrique ?  M. Xi avait promis de laisser le marché « faire le tri » mais semble l’avoir oublié.

La pollution nourrit la contestation chinoise

Le doublement de la consommation de charbon en une décennie (2004-2014) a généré une pollution dramatique. Certes l’air de la capitale chinoise s’est amélioré en 2015, avec une concentration de particules fines retombée à 80,6 microgrammes par mètre cube contre 93 en 2013, première année de publication sous la pression des réseaux sociaux. Mais rappelons que Paris était à 15 en 2014 d’après Airparif, et que son maire juge ce niveau dangereux. Les sols et l’eau ne vont pas mieux, avec notamment les multiples  » villages du cancer « .

La contestation grandit, à la campagne avec des milliers de conflits chaque année contre des pollutions localisées, et dans les métropoles, avec les manifestations géantes de Xiamen en 2007, Dalian en 2011 et Ningbo en 2012.
Photo ci contre via Novethic : « En Chine, 500 manifestations quotidiennes contre la pollution »

 

Comment le régime chinois tente de répondre à ces nouveaux défis

Pour faire face à ces enjeux, le régime cherche à écouler ses surplus chez ses voisins et tente de pallier au déclin démographique en augmentant les qualifications et en robotisant.

Les Nouvelles Routes de la soie : une machine à exporter les surcapacités

Ce projet promu par Pékin inclut des projets d’infrastructures gigantesques (cf le dossier du Monde « Nouvelles routes de la soie : les ambitions planétaires de Xi Jinping »).
Ainsi, LE SEUL corridor économique qui doit traverser le Pakistan depuis la frontière chinoise du Xinjiang jusqu’à l’océan Indien représente un investissement de 46 milliards de dollars, principalement en barrages, centrales thermiques, parcs éoliens, fermes solaires, liaisons ferroviaires, routières et à l’aménagement du port en eaux profondes de Gwadar. Bref de l’acier (donc aussi du charbon), et des panneaux solaires,… c’est à dire tout ce dont la Chine ne sait plus quoi faire !

Robotisation et numérisation, mais blocage intellectuel

L’augmentation des qualifications est en cours avec l’explosion du nombre d’étudiants et notamment d’ingénieurs. Une partie entre eux doit développer la robotisation. « La Chine est devenue le plus grand marché de robots industriels du monde dès 2013. Elle rachète les entreprises occidentales du secteur, tel l’allemand Kuka. Elle a 80 parcs technologiques répartis sur le territoire et 6 universités dans le Top 10 mondial des détenteurs de brevets robotiques. »  (Les Echos du 5/9/17). Elle a créé des géants du numérique comme Alibaba ou Tencent. Elle se lance à coup de dizaines de milliards dans la voiture électrique.

Tout cela est a priori excellent pour contrebalancer la diminution du nombre d’actifs et diminuer la pollution, mais va probablement être compliqué par le blocage politique et donc intellectuel en cours : les cadres devront être créatifs professionnellement, mais passifs politiquement, et ne retenir des contacts avec l’étranger que l’aspect strictement technique.

Ce blocage a été récemment illustré par la pression sur les universitaires « idéologiquement impurs », la censure des maisons d’édition étrangères et la réécriture de l’histoire en modifiant les archives elles-mêmes : leur numérisation est l’occasion d’effacer des articles de journaux chinois des années 1950, « les cent fleurs » de la critique, dont les auteurs ont vite disparu ! Cet épisode vient de se répéter début 2017 avec la suppression du site pourtant très nuancé du Unirule Institute of Economics et la prise en main par des « durs » du magazine de protection des droits de l’homme Yanhuang Chunqiu.

En Chine, aujourd’hui comme hier, tout est politique

La partie « facile » de l’efficacité chinoise vient du passage à une productivité industrielle normale des jeunes quittant la campagne où ils avaient une productivité marginale quasi nulle. Elle bute sur ses limites démographiques.

Or la crispation dictatoriale de « l’oncle Xi » va freiner la mise en place de l’économie de marché pourtant objectif officiel, détourner des vrais problèmes et freiner le bouillonnement des idées nécessaires pour gagner en efficacité à personnel constant.
Un ingénieur peut-il être parfaitement créatif si la moitié de cerveau n’a pas le droit de fonctionner ?
L’optimum économique peut-il être atteint si les responsables du parti contrôlent les propriétés d’État, donc les maintiennent pour convertir leur pouvoir en gains personnels ?

L’Occident a un pilote qui est le marché. C’est imparfait, mais tous les autres systèmes se sont révélés pires.

Quant à la pollution, si elle diminue nettement en Occident, et si elle a brusquement chuté en Europe orientale après la chute du mur, c’est parce que la démocratie ne permet pas aux responsables, et notamment aux maires, d’être réélus si elle dure. Faute de démocratie, la Chine empoisonne toute la planète

Marché et démocratie sont de proches cousins. En leur absence, la Chine a un « empereur » qui se veut efficace. Le sera-t-il autant que le marché et que la démocratie ? L’histoire le dira. Mais jusqu’à présent c’est le desserrement progressif de la poigne maoïste du parti qui a apporté le progrès aux Chinois. La voir se refermer n’est pas rassurant.

Yves Montenay

Une version résumée a été publiée par « Le Cercle Les Échos » le 20 septembre

5 commentaires sur “La Chine devra-t-elle choisir entre dictature et croissance ?”

  1. remarque très simple pour un mathématicien:
    quand on est au niveau zéro, faire + 100% est facile
    **
    dans les années 1960, la Corée (Sud) du dictateur Park Chung Hee avait pour slogan  » la démocratie on verra ça quand le PNB/tête dépassera 1 000 $ » cette politique n’a pas donné un bol de riz à chacun mais une voiture (horresco referens)

  2. Analyse ou plutôt diagnostic pertinent, notamment avec la justification du « collier de perles » par les surplus produits, mais c’est la suite qui inquiéte : comme les dirigeants chinois auront tout fait depuis Deng pour éviter un scénario à la Gorbatchev, difficile de désserrer l’étreinte pour tout perdre.
    Quels scénarios plausibles ?
    Je ne vois guère que la tentation militariste-impériale vis à vis de l’étranger proche et de la mer de Chine afin de contenir les frustations populaires, plus des armées d’ingénieurs et de chercheurs au service du régime et du développement technologique du pays pour les classes aisées.

    1. Oui ! Début d’un nouvel épisode. Il y aura peut-être maintenant des pressions sur ces organismes de notation …

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