Pourquoi partir plus tard est la seule solution

Comme il faut renflouer les caisses de retraite, on parle d’argent. Mais les retraites ne sont pas une question d’argent : si vous avez faim, essayez d’avaler votre compte en banque ! L’argent n’est rien si on ne peut pas s’en servir. Voyons cela !
Avec ma double casquette de démographe et de chef d’entreprise, j’ai l’œil sur les questions de retraite depuis bientôt 50 ans.

Il y a eu une première phase euphorique, à la fois pour des raisons démographiques (un nombre croissant d’adultes, peu de vieux) et pour des raisons sociales (augmentation rapide du nombre de salariés moyens et surtout moyens supérieurs, qui cotisaient largement).

La deuxième phase est passée inaperçue, par ignorance ou par mensonge délibéré des « commerçants » venant vendre leurs solutions aux chefs d’entreprise : lorsque je leur disais « je suis aussi démographe et ne comprends pas votre optimisme », ils me répondaient dans le meilleur des cas « nous y pensons et faisons des réserves importantes », et ne comprenaient pas que ce n’était pas le problème… problème qui n’est toujours pas compris aujourd’hui comme nous allons le voir.

Ce genre de discussion est devenu plus tendu lorsque l’âge de départ est passé de 65 à 60 ans, ce qui me paraît toujours aujourd’hui une immense escroquerie électorale : souvenez-vous de Mitterrand : « les démographes disent que c’est impossible, or je n’ai fait ! » ; autrement dit, « élisez-moi, je ne serai plus là en 2006 quand le problème se posera » !

La troisième phase, vous la connaissez tous : chacun prend connaissance que l’on va « dans le mur », mais les politiques n’osent pas bouger. Seul Nicolas Sarkozy s’y attaque et met en place une réforme, très insuffisante, mais qui est un premier pas et a eu le mérite de faire bouger les esprits.

Aujourd’hui, on discute d’un nouveau recul de l’âge de départ, mais seulement après 2020 (!), de la hausse des cotisations ou de la baisse des pensions. Je veux montrer que les 2 derniers points ne sont pas des solutions, et que la réalité annulera les bénéfices que les calculs théoriques font apparaître.

En effet, l’on n’a pris en compte que la moitié du problème démographique. On a bien compris que s’il y avait moins d’adultes, il y avait moins de cotisations et que comme il aurait de plus en plus « de vieux » en face, il faudrait les répartir entre davantage de retraités, d’où les 3 leviers possibles évoqués plus haut.

Mais la démographie, ce sont des hommes et des femmes, et ces derniers ne sont pas seulement les cotisants, ce sont aussi, pour les actifs, des gens qui produisent des biens et des services, et, pour les retraités, des gens qui les consomment. Autrement dit, ce n’est pas une question d’argent, mais une question de production.

Supposons une seconde que nos caisses de retraite puissent emprunter de manière illimitée et sans remboursement auprès de la Chine ou de l’Arabie, et puissent ainsi distribuer les pensions prévues sans toucher à l’âge de départ. Que feront les retraités ? Ils iront chez le boulanger, chez le médecin, téléphoneront à une infirmière ou à un réparateur d’ascenseur s’ils sont coincés au 7e étage.

Et comme les retraités seront nombreux et que les adultes le seront moins, ils n’auront pas tous satisfaction. L’ajustement se fera par l’argent ou les files d’attente, suivant le degré de socialisation de notre économie, et probablement par un travail au noir féroce. Il y aura des laissés-pour-compte et même des morts précoces.

Donc l’âge de départ est la seule variable pertinente : une infirmière en activité n’est pas seulement une cotisante, c’est d’abord une infirmière !Yves Montenay

Article publié dans Le Cercle Les Echos, le 6 mars 2013

 

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